Quelle personne incarne, selon vous, la culture française ?
av Isabelle Lenneryd

En lisant Les années (2008) d’Annie Ernaux cet automne, j’ai fait la connaissance de l’histoire française moderne pour la première fois. Parfois nommé une « autobiographie collective », ce récit raconte l’histoire française depuis la seconde guerre mondiale jusqu’au début du 21e siècle, parallèlement à la vie de l’autrice. Bien que je n’aie pas pu déchiffrer tous les mots et toutes les références à des événements et personnes historiques ou culturelles, j’ai compris quelque chose sur les Français : ce qui les a unifiés, ce qui les a divisés, et ce qui a formé la France d’aujourd’hui. De mon point de vue, tout à fait subjectif, il n’y a personne qui pourrait mieux incarner cette culture que l’autrice elle-même.
 
Premièrement, comme déjà mentionné, l’œuvre d’Annie Ernaux était mon introduction à l’histoire contemporaine française d’un niveau plus profond et populaire. À travers Les années, j’ai appris des tas de choses sur l’histoire française dont je ne connaissais rien avant. Par exemple, je n’avais jamais entendu parler de la guerre d’Algérie, les attentats terroristes et les manifestations sanglants en France métropolitaine à cause de ce conflit, comme celle du 17 octobre 1961 (Ernaux, 2008). Écrivaine française née en 1940, Ernaux a donc vécu le développement sans pareil qui a suivi la seconde guerre mondiale. Dans le récit, elle partage ses informations de première main sur cette époque bouleversante. Ce qui m’a frappée pendant la lecture est sa manière de relater l’esprit du temps et l’opinion publique d’une façon impersonnelle, comme si elle est une porte-parole de tous les Français. Elle documente des événements historiques non à partir de ceux qui sont normalement les personnages principaux, mais à partir du peuple, surtout les ouvriers et les petits bourgeois. Cette perspective résulte en une impression de proximité et pertinence qui rend l’histoire plus vivante. Par exemple, elle décrit l’introduction commerciale des caméras dans les années soixante-dix : « Dans le grésillement du projecteur, se voir pour la première fois marcher, remuer les lèvres, rire muettement sur l’écran déplié dans le living, décontenançait. On s’étonnait de soi, de ses gestes. C’était une sensation neuve » (Ernaux, 2008). Cependant, il ne faut pas oublier que même dans le « on » collective d’Ernaux, il y ait toujours une certaine limitation de la perspective, à partir de ses propres expériences. Par conséquent, son récit ne reflète pas forcément toute la population, mais quand même les opinions courantes à l’époque.
 
Deuxièmement, Annie Ernaux incarne l’esprit révolutionnaire de la France. Comme nous avons appris pendant ce cours de la culture et la société française, la France n’a pas seulement vécu une révolution. En fait, depuis la révolution en 1789, celle qui est sans doute la seule connue chez la plupart des Suédois, la France a éprouvé encore trois révolutions, cinq républiques, des empires et des monarchies, Mai 68, et plus récemment, les gilets jaunes et plusieurs grèves (Tekfak, 2020). Cette mentalité entêtée et combative est le trait que j’associe le plus avec les Français. Annie Ernaux appartient elle aussi à cette tradition qui fait la grève et qui s’oppose, politiquement ainsi qu’au niveau personnel. Née de parents ouvriers, elle s’est éloignée de son milieu modeste en faisant des études à l’université et en entrant la bourgeoisie (Thulin, s. d.). On pourrait dire qu’elle s’est révoltée contre ses origines. Dans l’article « Le 4 mai vu par Annie Ernaux : le désir ardent que “ça continue” » (Libération, 2018-05-03), l’écrivaine elle-même réfléchit sur ses souvenirs de la révolte des étudiants en 1968. Elle exprime son espérance, voire présuppose, qu’il y ait bientôt une nouvelle révolution comme celle de -68, contre les injustices d’aujourd’hui. Évidemment, elle maintient cet esprit révolutionnaire caractéristique des Français. « 1968 était la première année du monde », elle conclut dans Les années (Ernaux, 2008). Ernaux a aussi manifesté son soutien pour les gilets jaunes et la grève contre la réforme de retraites (Thulin, s. d.).
 
En outre, Annie Ernaux est une voix importante pour l’égalité des sexes, une lutte qui a été menée par d’autres Françaises comme Simone de Beauvoir et Olympe de Gouges. La libération des femmes et surtout le droit à l’avortement sont des questions qui lui tient à cœur et qui revient souvent dans son œuvre (Thulin, s. d.). Dans Les années, elle consacre une grande partie du récit à discuter ces sujets, comme les avortements clandestins : « Il fallait “faire passer” d’une façon – en Suisse pour les riches – ou d’une autre – dans la cuisine d’une femme inconnue sans spécialité sortant une sonde bouillie d’un fait-tout » (Ernaux, 2008). Cette année, la France est devenue le premier pays du monde à inscrire le droit à l’avortement dans la constitution, une décision largement soutenue chez le Congrès ainsi que la population française (Radio-Canada, 2024). Donc avec son engagement politique et féministe, Ernaux incarne vraiment la devise de la république française : Liberté, Égalité, Fraternité, ou plutôt Liberté, Égalité, Sororité.
 
En sa qualité d’écrivaine, Annie Ernaux fait partie de la tradition littéraire française. Un aspect essentiel du patrimoine culturel français, la littérature évoque chez moi des grands écrivains et des intellectuels des tous époques et styles comme Voltaire, Jules Verne et Albert Camus. La France et la langue française sont clairement importantes dans le monde de la littérature : la nationalité française est la plus fréquente parmi les lauréats du prix Nobel de littérature (environ 13%), et le français, qui représente un peu plus de 12%, est la deuxième langue, après l’anglais (Wikipedia, 2024). Ces chiffres ne sont qu’une façon limitée de mesurer l’impact, qui est naturellement beaucoup plus complexe. Toutefois, c’est une sorte de preuve de la reconnaissance internationale de la littérature française. Par conséquent, il me semble naturel de choisir une écrivaine à représenter cette culture, surtout puisque Ernaux elle-même est la lauréate du prix Nobel en 2022.
 
Annie Ernaux n’est guère la personnalité culturelle française la plus connue ou la plus influente. Pourtant, à mon avis, elle symbolise de plusieurs façons l’esprit français. Tout d’abord, elle documente et raconte l’histoire contemporaine française d’une perspective plus inclusive et populaire. En même temps, elle personnifie la tradition révolutionnaire et les valeurs de la république française, surtout dans la lutte pour l’égalité et la liberté des femmes. Finalement, en combinaison avec ce cours de français, son œuvre a éveillé ma curiosité pour la littérature et la culture française, à la fois en faisant référence à d’autres œuvres et par son style d’écriture captivant et unique.

 
Bibliographie

Ernaux, A. (2008). Les années. Éditions Gallimard.

Ernaux, A. (2018). Le 4 mai vu par Annie Ernaux : le désir ardent que « ça continue ». Libération. 3 mai. https://www.liberation.fr/france/2018/05/03/le-4-mai-vu-par-annie-ernaux-le-desir-ardent-que-ca-continue_1647599/(Consulté le 11 mai 2024)

Tekfak, J. (2020). Les Français sont-ils révolutionnaires ?. Français Authentique. [Blog]. 27 juillet. https://www.francaisauthentique.com/les-francais-sont-ils-revolutionnaires/ (Consulté le 13 mai 2024)

Thulin, A. (s. d.). Annie Ernaux: « Klass påverkar hela ens liv ». Vi Läser. https://vilaser.se/annie-ernaux-klass-paverkar-hela-ens-liv/ 
(Consulté le 11 mai 2024)

Radio-Canada. (2024). La France devient le premier pays à inscrire l’avortement dans sa Constitution. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2053736/france-premier-pays-avortement-constitution (Consulté le 13 mai 2024)

Wikipedia. (2024). Prix Nobel de littérature. 
https://fr.wikipedia.org/wiki/Prix_Nobel_de_litt%C3%A9rature 
(Consulté le 11 mai 2024)